Elles sont contemporaines : l'une, Annie Chancel, est née à Créteil en 1946 ; l'autre, Isabelle Gall, est née à Paris en 1947.
A la grande époque de Salut les copains, tandis que Françoise Hardy et Sylvie Vartan caracolaient en tête des hit-parades dans des styles diamétralement opposés, Sheila et France Gall étaient presque systématiquement troisième et quatrième en alternance.
L'une fut fréquemment haïe, l'autre pas
A première vue, Sheila et France Gall, même combat (Sacré Charlemagne et L'Ecole est finie... Pendant les vacances et Mes premières vraies vacances... Le Folklore américain et L'Amérique... c'est kif-kif bourricot).
Avec un répertoire basique similaire, toutes deux connaissent à la fin des années soixante un net déclin de popularité, beaucoup plus marqué, d'ailleurs, chez France Gall, et principalement dû au choix de leurs chansons, moins percutantes.
Leurs adorateurs, néanmoins, continuent à faire bon accueil à leurs publications en attendant un éventuel grand retour... qui se fera dans les années soixante-dix (1977 pour Sheila, 1974 pour France).
L'une, débarrassée de son mentor Claude Carrère, se prend en mains...
L'autre, cornaquée par Michel Berger (mariage en 1976) qui vient d’être abandonné par Véronique Sanson (elle l'avait quitté pour épouser le rocker américain Steve Stills mais s'apercevra bien vite qu'elle s'est fourvoyée).
Avec La Déclaration (1974), un titre signé Michel Berger, France Gall retrouve le chemin d’un succès qui l’avait négligée depuis sept ans. Ses derniers gros succès remontaient à 1967 (Bébé requin, signé... Joe Dassin).
En 1969, elle avait signé sur un petit label de disques intitulé La Compagnie monté en partie par Hugues Aufray et pendant cinq ans connut une période d'échecs. Les carottes sont cuites ! Il suffit d’en citer les titres, qui n'évoquent rien à personne : Zozoi, Les Eléphants, Frankestein, Caméléon-caméleon...
Pour France Gall, les tubes pleuvent jusqu'au décès prématuré de Michel en 1992 : La Groupie du pianiste, Cézanne peint, Résiste, Calypso, Débranche, Babacar et surtout Ella, elle l'a, une parfaite réussite qui s'est magistralement vendue dans toute l'Europe.
Sheila
A partir du moment où le disque rapporte de l'argent, autour de chaque star, une équipe gère son image et son répertoire. Johnny Hallyday, qui ne jurait que par le rock'n'roll, n'a-t-il pas enregistré (sans cacher qu'il méprisait ces rythmes bâtards), des twists et des madison ? On peut se permettre d'écrire que Sheila fut un produit fabriqué, ce qui explique en partie les critiques qu'elle a dû essuyer tout au long de sa carrière.
Fabriqué par Claude Carrère, comme Mireille Mathieu sera fabriquée par Johnny Stark
Et Sheila, comme ensuite Mireille Mathieu, devint une cible privilégiée des médias
Il faut bien une tête de Turque, et vend-on des journaux en critiquant des inconnus ?
Où se situe la limite entre fabriquer et modeler ?
Edith Piaf fut-elle fabriquée ou modelée par Louis Leplée ?
Les Beatles furent-ils fabriqués ou modelés par leur manager Brian Epstein ?
On pourra toujours objecter que, en apparence, Sheila n'avait pas une personnalité aussi marquante que les artistes précités : Piaf était une bête de scène, les Beatles des auteurs-compositeurs exceptionnels.
Sheila, elle, n'avait que des couettes et une jupe à carreaux
Ca fait personnage de bande dessinée (ou de dessins animés : les Archies)... c'est l'archétype de la chanson industrielle dont les thèmes sont volontairement anodins pour plaire au plus grand nombre, et surtout ne déranger personne (les Monkees).
Une machine bien huilée jusqu'à ces jours de mai 68 où un grain de sable (ou plutôt un pavé) se glisse dans les rouages...
"La Famille, ça fait partie des p’tits soucis quotidiens"...
Avec ce genre de déclarations sans équivoque, la chanteuse aux couettes enfonçait encore plus profondément le sentiment de représenter la France profonde, déjà évoquée avec L’Ecole est finie et L’Heure de la sortie.
En 1967, Sheila est la chanteuse préférée de 32% des Français (elle a vendu, au total, 70 millions de disques). Malheureusement pour elle, l’esprit de mai 68 arrivait à grand pas. Sheila faillit commettre l’erreur de sa vie en publiant son disque suivant, Petite Fille de Français moyens, au printemps 1968.
La gaffe, à un moment où le monde de la chanson recherchait, au contraire, un renouveau. Elle n’avait fait que grandir en popularité depuis 1963, à raison d'un hit par trimestre. Désormais ses tubes seront plus espacés : Les Rois Mages en 1971, Les Gondoles à Venise en 1973 jusqu’à son retour en force, en pleine période disco, avec des titres en anglais : Singin’ In The Rain, Spacer et Love Me Baby.
Sheila elle-même reconnaît que cette chanson marque non seulement un véritable tournant dans sa carrière, mais également... le début d’une seconde carrière, sous le pseudonyme de groupe “Sheila B. Devotion”.
Pour parvenir à ses fins et à ses fans, Sheila, qui n’avait jusqu’alors jamais chanté en anglais, dut prendre des cours intensifs, son but avoué étant, surtout, de ne pas passer pour une Française, et donc ainsi ne pas risquer d’être reconnue par ceux qui, durant des années, rechignaient à écouter la modeste interprète de L’Ecole est finie.
Sa reconquête du public se fit par le truchement des night clubs
Pour cette raison, les premiers exemplaires du disque passèrent sous silence le nom de Sheila, au profit du pseudonyme “S. Black Devotion”. Pour la première fois de sa vie, Sheila vendit plus de disques à l’étranger que dans son propre pays. Et le plus drôle est que le grand public ne fut pas dupe, car, dès les premiers jours, les auditeurs des radios téléphonèrent en masse pour demander si la chanteuse de ce groupe américain n’était pas, justement, Sheila. Voir tous les succès en France de ces artistes sur le site : http://www.infodisc.fr Historique des Succès Musicaux en France depuis 1900
