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Cette star du début du 20è siècle qui popularisa la Lucky Strike est aujourd'hui totalement oubliée
Malgré tout le soin porté à faire des recherches sur cette grande dame, il nous fut d'abord impossible de préciser sa date de naissance. Le cas se produit de temps à autre : par coquetterie, Mistinguett, James Brown et très probablement Amanda Lear (entre autres) mentirent sur leur état civil, histoire de se rajeunir. Plus complexe, le cas des bluesmen et des jazzmen nés dans l’esclavagisme (notamment Sidney Bechet), et dont on ne retrouvera jamais trace du moindre acte de naissance ; mais en règle générale, une fourchette de 2 à 3 ans est le plus souvent admise. Irène Bordoni fit partie de ces personnalités dont on pensait ne connaître jamais la date de naissance avec certitude: ses biographes avaient un doute d’une dizaine d’années. Et voici que Daniel Doyon nous écrit : "Elle est née le 16 janvier 1889 dans le 9e arrondissement de Paris. J'ai trouvé son acte de naissance"
Il n'y avait aucun doute, en revanche, sur celle de sa disparition : 1953. Ajoutons qu’Irène est corse (d’Ajaccio) et ses parents étaient italiens. Nous pouvons sans trop nous risquer en déduire qu’elle a le sang chaud et qu’en conséquence sa vie sera mouvementée.
Une carrière commencée précocement
Nous ignorons en quelle année et pour quelles raisons sa famille débarqua à Paris mais l’on sait cependant qu’Irène commença à se produire sur les planches du Théâtre des Variétés à l’âge de 13 ans. Chanteuse, avant tout ! Son agent artistique est André Charlot ; ayant « réussi » dans notre capitale grâce aux succès obtenus aux Folies-Bergère, il se relocalise à Londres pour accroître son empire et emporte dans ses bagages notre Irène. La voici brièvement londonienne… brièvement car l’Amérique l’appelle. Elle s’embarque sur le paquebot La Provence et arrive aux Etats-Unis le 28 décembre 1907. Amérique, me voici !
C’est en arrivant sur Broadway qu’elle donne pour date de naissance l’année 1885. Sa carrière américaine, elle l’entame donc (selon elle) à l’âge de 22 ans, avec un spectacle intitulé « Broadway to Paris ». Ensuite elle ira s’installer dans le Nevada, auprès de son père, dans la ville de Reno.
Mais elle est trop jeune pour prendre sa retraite : elle a envie de dévorer la vie à pleine dents… à pleines cordes vocales. Et comme elle est loin d’être laide, elle se tournera bientôt vers le cinéma. Pour les Américains, elle symbolise la femme française, charmeuse et charmante. Il y avait une place à prendre… place qui lui sera ravie quelques années plus tard par Mistinguett, ce qui expliquera le déclin de sa popularité (et le fait qu’aujourd’hui plus personne ne connaît La Bordoni).
Des rôles inoubliables
Elle est la Petite Madame Barbe-Bleue (« Little Miss Bluebeard », 1923) et la Vilaine Cendrillon (« Naughty Cinderella », 1925). Et surtout, en 1928, elle brille dans « Paris » du grand Cole Porter. C’est la consécration, avec, notamment, la chanson « Let’s do it, let’s fall in love » aux paroles explicites, très osées pour l'époque (Joan Jett l'enregistrera un demi-siècle plus tard).
Avant tout, une image…
Ses yeux noisette, son charme et son piquant attisent l’intérêt des businessmen qui considèrent qu’il serait trop bête de ne pas utiliser son impact sur le grand public pour vanter les charmes de leurs produits. Hauts couturiers défilent chez Irène, c’est « dans l’ordre », c’est normal qu’elle fasse de la publicité pour des vêtements de luxe… mais des cigarettes !
Shocking, à une époque où la femme ne fume pas, en tout cas, pas en public.
Irène devient l’ambassadrice de Lucky Strike
On ne saura jamais combien elle a touché… mais elle a touché ! Irène accepte de poser pour des publicités pour une marque de cigarettes qui existe depuis 1871 et qui, grâce à elle, va connaître un incroyable essor auprès du public féminin. Les femmes, dès lors, n’auront plus honte de fumer en public, en société ni en famille… à tel point que des dizaines d’années plus tard, les fumeurs de Gitanes et de Gauloises continuaient de jurer que les cigarettes blondes étaient des cigarettes pour femme. C’était loin d’être le dernier coup d’éclat de la belle Irène
Les années 20 menées tambour battant
A l’époque, c’est la scène qui domine le monde, aussi bien à Paris qu’à Broadway, car le cinéma, qui n’est encore que muet, reste une attraction mineure face aux Revues : le public préfère voir les stars en chair et en os que sur écran noir et blanc. C’est si vrai qu’on peut, encore aujourd’hui, écouter, sur YouTube, les chansons interprétées par Irène et extraites des « musicals » de l’époque alors qu’on croit que sont perdus à jamais les six courts métrages muets qu’elle tourna entre 1910 et 1915. Quel intérêt, dès lors, de citer les titres ? Pour la bonne raison que, par miracle, l’un de nos lecteurs pourrait en retrouver une copie au grenier ou sur une brocante. Ouvrez l’oeil, si d’aventure vous trouviez des vieilles bobines portant les titres « Pierrot aime les roses », « Le Club des élégants », « La Légende des tulipes d’or », « Le Miracle des fleurs », « Le Secret du châtelain » et « Le Traquenard ».
Dépitée, Irène s’était donc donnée à fond à la comédie musicale qui constitua l’essentiel de ses revenus (hormis les publicités auxquelles elle se prêtait complaisamment). Elle ne reviendra au grand écran qu’à la fin des années vingt, après le succès du musical « Paris » (musique de Cole Porter), Hollywood, inspiré par ce succès, se décidant à en tirer un film. Non seulement l’industrie cinématographique ne risquait pas grand-chose, mais en plus la Warner innovait : « Paris » serait sonore et comporterait des scènes en couleurs. Une révolution !
En 1928, en effet, le film est encore muet. Alors, comment celui d’Irène peut-il ne pas l’être ?
Warner inaugure le système Vitaphone sound on disc qui consiste, comme son nom l’indique, à diffuser la bande sonore préalablement enregistrée sur plusieurs disques.
Le tour est joué !
Le public est estomaqué, d’autant que pour beaucoup de spectateurs, ils assistent pour la première fois à une projection partiellement en couleurs : il s’agit de l’une des premières utilisations du Technicolor. Irène venait de triompher une première fois, elle remettrait ça quelques mois plus tard avec le film « Show of Shows » (1929). D es trésors aujourd’hui disparus Lorsqu’on se demande pourquoi Irène est aujourd’hui totalement oubliée, on oublie souvent d’expliquer qu’il ne reste plus grande trace de son œuvre cinématographique : « Paris » a totalement disparu, il n’en reste plus que le disque ; quant à « Show of Shows », ce sont les scènes en couleurs qu’on n’a pas pu retrouver.
Une œuvre amputée
Heureusement tout n’a pas disparu. Qui connaît les follow-the-bouncing-ball Screen Song cartoons ? Il suffit de traduire pour comprendre de quoi il s‘agit… c’est l’ancêtre du karaoké : des chansons associées à des dessins animés.
Les paroles apparaissent dans le bas de l’écran et une balle surgie de la gauche rebondit sur chaque mot chanté. Le traitement fut infligé à l’un des grands succès du vingtième siècle, "C'est mon gigolo".
La chanson a été écrite en 1929, immédiatement enregistrée par la chanteuse française réaliste Damia, puis, quelques mois plus tard, par le crooner américain Bing Crosby. Un quart de siècle plus tard (1955), le swinguant Louis Prima l’enregistre en pot-pourri (I’m Just A Gigolo) et un obtient un succès discret mais durable. En 1960, Henri Salvador l'inscrit à son répertoire. En 1978, la chanson est interprétée par Marlene Dietrich dans le film "Just A Gigolo", dont l'acteur principal n'est autre que David Bowie. Carlos en fait «Je suis un rigolo » en 1981. David Lee Roth, du groupe Van Halen, l’enregistre à son tour en 1985. Dans le cas d’Irène, elle apparaît dans un Betty Boop pour un dessin animé follow-the-bouncing-ball, et chante « C’est mon gigolo », en français et en anglais (le document complet dure 8 minutes, la "baballe à chanter" arrive vers 5 minutes 30). C'était en 1932… Cliquer ICI pour lire la suite