On dit parfois que le premier tube de reggae est « My Boy Lollipop », succès international de 1964 interprété par la Jamaïquaine Millie, dite Millie Small (et repris en français par Agnès Loti, sous le titre « C’est toi mon idole »). Impossible, car cette année-là le reggae n’existait pas : « My Boy Lollipop » est un ska, rythme certes précurseur du reggae. La différence entre les deux, c'est leur rythme. On dit que le ska s'est transformé en reggae très exactement durant l'été 1966, la Jamaïque ayant connu à l’époque une vague de chaleur inégalée. C'est en partie vrai mais cette affirmation mérite d'être nuancée.
Les danseurs n'arrivant pas à danser, les musiciens des bals populaires et des dancings, en conséquence, ralentirent le rythme du ska, qui devint alors le reggae parfois surnommé rock steady (voir le livre "Reggae" de Chris Morrow, éditions Alternatives). Les pochettes de disques, souvent érotiques, mettent l'accent sur le côté langoureux, voir sexuel, du reggae.
Surgit en 1965 un autre Jamaïquain, Shawn Elliott.
Tout le monde s'empresse d'enregistrer son tube « Shame And Scandal In The Family ». Calypso à l’origine, ce titre figure, avec des paroles différentes et sous le titre "Shame And Sorrow In The Family" dans "Vaudou" ("I Walked With A Zombie") film de Maurice Tourneur (1943). Revu et corrigé en ska, il conte une histoire de coucheries.
Curieusement, le disque, interprété en français par Dalida, Sacha Distel et les Surfs, n'est pas interdit d'antenne. Résumons : dans un petit village de la Jamaïque, tout le monde a couché avec tout le monde. Un jeune homme ne cesse de présenter ses fiancées à son père, mais inlassablement son père lui répète qu'il ne peut en épouser aucune, car elles sont toutes ses sœurs.
1967
Des titres en provenance de l'île passent fréquemment à la radio : « 007 » par Desmond Dekker et « Al Capone », interprété, soit par le Jamaïquain Prince Buster, soit par l’Américain Rosko sous le pseudonyme de Prince of Wales Stars. Mais le premier disque de reggae véritablement connu en Europe (printemps 1967) est « Give And Take » par James Chambers, alias Jimmy Cliff. Evidemment, c'est en Jamaïque que Jimmy a vu le jour, en 1948.
Il y connaît le succès, bien avant Marley : ses premiers hits remontent à 1963. Fin 1964, il migre en Angleterre, et donne ses premiers concerts en France en 1966. Mais en Europe, hélas, sa carrière ne décolle pas. Aussi prend-il l'initiative d'écrire des tubes pour autrui. C'est d'ailleurs grâce à l’Anglais Cat Stevensque l'Europe découvre en 1970 son excellent « Wild World ».
Sa plus belle composition restera certainement « Many Rivers To Cross ». La reconnaissance méritée survient en 1972, avec le film « The Harder They Come » (qui, sous le titre « Tout, tout de suite », sort en France avec quatre ans de retard, ce qui confirme le manque d'intérêt du public français, à l'époque, pour le reggae).
Le reggae a du mal à s'imposer dans l'Hexagone
Il est vrai qu'a priori la culture française est éloignée de la jamaïquaine, plus encore que de la britannique. Mais aux Etats-Unis, la mayonnaise a autant de mal à prendre, au point qu'en 1977 les Nord-Américains considèreront que la mode du reggae est déjà passée, et qu'il y a constat d'échec. Car malgré des hits sporadiques, le reggae ne constitue par encore une véritable mode. Un début de mode, peut-être.
Il faudra l’intervention de son porte-parole Bob Marley pour en faire un véritable courant musical reconnu. Après des années d'un succès d'estime, Marley ne sera véritablement encensé en France qu'après son décès à l'âge de trente-six ans.
Un succès tardif
Marley enregistra son premier 45 tours en 1962. Sa gloire quinze ans plus tard ne parviendra pas à effacer l'usure des ans et l'échec persistant : jusqu’à 1967 les médiocres droits d'auteur de ses chansons sont partis en fumée et en fumette. Au point qu’il a dû se séparer de son groupe les Wailers dont est issu Peter Tosh. Tandis que Tosh enregistre désormais sous le pseudonyme ô combien pompeux de Winston Hubert Mc Intosh, Bob travaille en usine.
La chance, pourtant, lui sourit en 1968
Johnny Nash, vedette jamaïquaine connue depuis le début des années soixante, enregistre quatre de ses compositions. Un coup de fouet salutaire à la carrière de Bob dont les disques désormais sortent dans le monde entier... même s’ils se vendent encore médiocrement. Lorsque sort « No Woman, No Cry » par "Bob Marley and the Wailers" (c'est ce qu'indique la pochette), les Wailers n’existent plus.
Finalement, ils ont eu du flair : ils auraient peut-être été massacrés ce jour de décembre 1976 où Marley, à son domicile jamaïquain, fut agressé et mitraillé par une bande d'intégristes qui jugeait néfaste son influence sur les masses populaires.
L'incident lui inspire le texte d'une chanson, « Rastas Don't Work For the C.I.A. »
Celui qu'on a surnommé "le Nouveau Moïse du Tiers-Monde" est malade d'un cancer des poumons, du foie et du cerveau. Quasiment moribond, l'artiste quitte son île natale pour une période de deux ans. Son décès survient en 1981, au lendemain de l'élection de Mitterrand. Deux titres primordiaux lui avaient permis d'accéder au rang de superstar : « I Shot The Sherif » (et en cela il fut aidé, en 1974, par la version d'Eric Clapton) et l'année suivante « No Woman, No Cry » d'un certain Vincent Ford, inconnu au bataillon du reggae.
Une étude réalisée à la fin du 20e siècle établit que, dans le monde entier, un disque sur deux de reggae est interprété par Marley ; il était enfin reconnu !